Lecture Humaniste, Guérir à deux voix : Irvin Yalom et Ginny Elkin. Une écriture à deux voies.
Que se passe-t-il dans la tête d’un psy et que se passe-t-il dans la tête de la cliente dans le cours d’une thérapie ?
Regard croisé sur une thérapie, celle qu’entreprend Ginny Elkin avec Irvin Yalom.
La lecture de ce livre est comme un roman, une relation écrite à la manière épistolaire et pourtant chacun livre ses pensées en canon, saison après saison. Phénoménologique, décrivant ce qui apparait dans la séance, émerge après, les ressentis, les observations. La fragilité à la fois de la cliente et celle du thérapeute.
Cet ouvrage est le fruit d’une expérience entreprise par le Dr Irvin Yalom et une de ses patientes. Ginny est alors en thérapie de groupe avec Irvin Yalom et un de ses collègue depuis un an et demi et aucun progrès notable ne se manifeste dans ce cadre. Il lui suggère de poursuivre en individuel. Ginny souhaite devenir romancière et souffre du syndrome de la page blanche, un phénomène bien handicapant pour ce qu’elle rêve de devenir. Irvin Yalom lui propose alors de régler son traitement par l’écriture sous la forme de compte rendu de séance, ce qui devait stimuler sa capacité à écrire. Il décida lui aussi de consigner leurs rencontres hebdomadaires et il fut convenu que chacun des deux partagerait avec l’autre tous les 6 mois ces notes dans l’espoir de tirer des bénéfices thérapeutique du procédé. (sources Marilyn Yalom préface de guérir à deux voix)
Irvin Yalom est un psychiatre et écrivain américain connu pour ses travaux dans le domaine de la psychothérapie existentielle, Thérapie existentielle est précisément l’un de ses ouvrages conséquent dans l’approche psychothérapeutique, le client et le thérapeute. Une rencontre de deux humanités, une rencontre d’intimité.
Extrait :
J’ai toujours un pincement au coeur en retombant sur d’anciens agendas remplis de noms de patients oubliés avec qui j’ai pourtant vécu des expériences si profondes. Tant de gens, tant de moments précieux.
Que leur est-il arrivé ?
Mes nombreux classeurs, mes montagnes de cassettes m’évoquent souvent un vaste cimetière : des vies compressées dans des dossiers bien nets, des voix piégées sur des bandes magnétiques qui rejouent éternellement leur tragédie. Vivre avec ces vestiges me rappelle à quel point tout est éphémère. Même si je m’immerge dans le présent, je sens le spectre qui veille et attend : celui de la désagrégation qui finira par vaincre le vécu, mais qui pourtant, par son inexorabilité même est poignante et belle à la fois. Ma volonté de relater mon expérience avec Ginny était intense ; j’étai fasciné par l’idée de repousser cette désagrégation, de prolonger notre temps passé ensemble, bien trop court, d’autant que celui-ci existerait désormais dans l’esprit du lecteur plutôt que dans ce triste entrepôt de notes jamais relues et de bandes jamais écoutées.
L’histoire commence par un coup de téléphone. Un brin de voix me dit qu’elle s’appelle Ginny, qu’elle vient tout juste d’arriver en Californie, après avoir suivi une thérapie avec une collègue, qui me l’adresse. Tout juste de retour d’une année sabbatique à Londres, j’ai moi-même assez de temps libre pour lui donner rendez-vous deux jours plus tard.
Je l’accueille dans la salle d’attente et la conduis dans mon Cabinet. Je marche le plus lentement possible ; telle une épouse orientale, elle me suit sans bruit à quelques pas. Dans son apparence, rien n’est accordé – ses cheveux, son sourire, sa voix, sa démarche, son pull, ses chaussures… Tout cela semble assemblé au hasard, sans aucune cohérence – son jean déchiré, ses chaussettes militaires, même ses cheveux et ses membres.
Que reste-t-il ? Son sourire peut-être.
Un tableau pas vraiment harmonieux, même en recollant tous les morceaux. Elle est cependant aussi attirante qu’intrigante. En quelques minutes, elle réussit à me faire savoir qu’elle est à ma disposition et s’en remet totalement à moi. Je ne suis pourtant pas inquiet. A ce stade le fardeau ne me semble pas si lourd à porter.
Elle parle et j’apprends que cette fille d’un ancien chanteur d’opéra et d’une femme d’affaires de Philadelphie a vingt-trois ans, une soeur de quatre ans sa cadette et un don pour l’écriture. Elle est venue en Californie car elle a été admise par une université de la région dans un cours d’écriture créative d’un an, après avoir envoyé ses nouvelles.
Pourquoi a-t-elle besoin d’aide ? Elle m’explique vouloir continuer sa thérapie entamée l’an passé et, de manière confuse et décousue, me raconte peu à peu quelles sont ses principales difficultés dans la vie. A mesure qu’elle parle, j’identifie, en plus de ses plaintes explicites, plusieurs autres problèmes majeurs.
Elle commence par son autoportrait : vite brossé, sans presque reprendre son souffle, litanie autodestructrice ponctuée de quelques charmantes métaphores. Masochiste en tout, elle a toute sa vie négligé ses propres besoins et ses plaisirs. Elle n’a aucun respect pour elle-même et se voit comme un esprit désincarnée – un canari pépiant et sautillant de-ci, de-là, d’épaule en épaule, tandis que ses amis et elle marchent dans la rue. Elle s’imagine ne présenter d’intérêt pour les autres qu’en tant que feu follet éthéré.
Comment débute une thérapie…